Pollution de l’air :

le Conseil d’Etat inflige à l'Etat deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros

Pas assez et trop tard...Par une décision rendue le 17 octobre*, le Conseil d’Etat condamne l’Etat
au paiement de deux astreintes de 10 millions d’euros chacune, au profit d’associations
environnementales. Ce, en raison de l’insuffisance des mesures prises pour garantir le respect
des seuils limites de pollution. Décryptage.

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Une décision logique au regard de l’ancienneté de la « carence »

Par une décision du 12 juillet 2017 (n° 394254), le Conseil d’État avait ordonné à l’État de mettre en œuvre un véritable plan, afin de réduire les concentrations de dioxyde d’azote et de particules fines dans 13 zones de France, particulièrement exposées à ces pollutions. La haute juridiction administrative s’était alors fondée sur la directive européenne 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

Trois ans plus tard, par une décision du 10 juillet 2020 (n° 428409), le Conseil d’État estimait que les mesures prises étaient insuffisantes. La baisse des émissions relevée à ce moment-là était en grande partie due aux effets des confinements sanitaires successifs. Dès lors, en conséquence, le Conseil a condamné l’État à agir, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Le 4 août 2021, il  prononce donc une première astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021, les seuils limites restant dépassés dans cinq zones.

Saisi une nouvelle fois par les associations de défense de l’environnement, la haute juridiction administrative devait analyser les efforts fournis par le gouvernement. Après examen des nouveaux éléments fournis par le ministère de l’Ecologie, elle liquide aujourd’hui deux nouvelles astreintes pour le second semestre 2021 et le premier de 2022, soit un montant total de 20 millions d’euros.

Une situation qui s’améliore, mais qui reste mauvaise dans plusieurs zones


Point positif de sa nouvelle décision, le Conseil d’Etat constate que les derniers chiffres montrent que la situation « s’est globalement améliorée ». Et, la zone de Grenoble ne présente plus de dépassement en matière de concentration en dioxyde d’azote, ni celle de Paris, en matière de concentration en particules fines.

Toutefois, les magistrats administratifs relèvent que la situation et les taux mesurés demeurent mauvais dans quatre des 13 zones identifiées. Ainsi, la situation de l’agglomération Toulousaine reste fragile en 2021, avec une concentration moyenne annuelle de dioxyde d’azote juste en dessous de la valeur limite, mais en augmentation par rapport à 2020. Pour les agglomérations de Paris, Lyon et Aix-Marseille, si la moyenne annuelle de concentration en dioxyde d’azote a globalement diminué en 2021 par rapport à 2019, les seuils limites y ont été dépassés.


Au-delà de ces données purement chiffrées, pour liquider cette nouvelle astreinte, le Conseil estime également que les mesures prises ne permettent pas de garantir une amélioration à court terme. Certes, les récentes mesures adoptées par le gouvernement dans le secteur des transports (aides à l’acquisition de véhicules moins polluants, développement des mobilités douces, déploiement de bornes de recharge) et du logement (interdiction des chaudières à fioul ou à charbon) devraient avoir des effets positifs sur les niveaux de concentration en dioxyde d’azote dans l’air ambiant pour l’ensemble du territoire. Pour autant, les conséquences concrètes de ces mesures générales ne sont pas précisées pour les trois zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille qui dépassent encore les valeurs limites.

Le Conseil d'État observe également que le développement des nouvelles « zones à faibles émission mobilité » (ZFE-m) prévues par la loi Climat et résilience d’août 2021, avec la possibilité de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants, peut permettre une baisse significative des niveaux de concentration. Des zones à faibles émission (ZFE) avaient déjà été instaurés précédemment, à Paris et à Lyon, mais aucune mesure nouvelle n’a été prise pour ces zones depuis la loi Climat. Le calendrier de mise en œuvre de restriction des véhicules les plus polluants a même été décalé à Paris. En parallèle, la ZFE-m de Toulouse n’est effective que depuis le 1er février 2022 et celle d’Aix-Marseille que depuis le 1er septembre, et ce, alors même que l’obligation d’y instaurer des ZFE y était antérieure à la loi Climat et résilience.


Enfin, si des procédures de révision de plusieurs plans de protection de l’atmosphère (PPA) ont été récemment engagées ou sont en voie de l’être, l’objectif de respect des seuils limites demeure « très éloigné et n’est accompagné d’aucun élément permettant de considérer ces délais comme étant les plus courts possibles ». Or, la date butoir pour respecter les valeurs maximales de concentration en dioxyde d’azote dans l’air ambiant était fixée par la directive européenne au 1er janvier 2010. En bref, pour le Conseil d’Etat, c’est trop peu et trop tard.

Deux astreintes de 10 millions d’euros

Compte tenu tout à la fois de la persistance du dépassement des seuils limites, mais aussi des améliorations constatées depuis la dernière décision du Conseil d'État du 4 août 2021, le montant de l’astreinte semestrielle n’est ni majoré ni minoré. Il reste fixé, pour la période allant du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022, à 10 millions d’euros par semestre de retard, comme prévu par la décision du 10 juillet 2020, ce qui conduit au montant total de 20 millions d’euros pour les deux semestres en cause. Le produit de ces astreintes sera de nouveau réparti entre les associations écologiques qui avaient initialement saisi le Conseil d’État, en 2017.


La haute juridiction réexaminera la situation en 2023... et les efforts du gouvernement pour la période de juillet 2022 à janvier 2023.

* CE, 17 octobre 2022, n°428409